La Cour suprême du Canada reconsidère la question des délais dans le cadre des procédures administratives

Dans l’arrêt Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, la Cour suprême du Canada (CSC) a reconsidéré la question des délais dans le cadre des procédures administratives et leur effet sur l’équité procédurale. Il y a plus de 20 ans que la CSC a examiné cette question, dans le cadre de l’affaire Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 (Blencoe). 

Quand les délais devient-il un abus de procédure ? Personne vérifiant la montre devant l'ordinateur portable.

Les faits :

Peter Abrametz était avocat en Saskatchewan. La Law Society of Saskatchewan (le « Barreau ») a intenté une procédure disciplinaire contre lui en 2012, mais la procédure n’a été conclue qu’en 2018 et Abrametz a été déclaré coupable de quatre chefs d’accusation de conduite indigne d’un avocat. Abrametz a sollicité un arrêt des procédures contre lui, en alléguant que ce délai constituait un abus de procédure, mais le comité d’audiences du Barreau a rejeté sa demande. Abrametz a, par conséquent, été radié du Barreau en 2019 en raison de la procédure disciplinaire.

La Cour d’appel de la Saskatchewan a accueilli l’appel sur l’arrêt des procédures, en statuant que le délai des procédures avait été excessif, ce qui a causé à Abrametz un préjudice important. Le Barreau a porté cette décision en appel auprès de la Cour suprême du Canada.

Le critère de l’arrêt Blencoe :

Dans l’arrêt Blencoe, la CSC a statué que le délai d’une procédure administrative peut constituer un abus de procédure de deux manières différentes :

  • lorsque le délai menace l’équité procédurale en portant atteinte à la capacité de la partie de répondre à la plainte formulée contre elle; ou
  • lorsqu’un délai excessif donne lieu à un préjudice important.

Dans l’arrêt Blencoe, la Cour a établi une analyse de trois étapes pour le deuxième type d’injustice dans les cas où, même si l’équité du procès n’est pas affectée, le délai cause un préjudice important à une des parties :

1. Le délai doit être excessif. Le degré d’importance du délai dépend des circonstances de chaque cause en particulier, en tenant compte de la nature et de l’objectif des procédures, de la durée et des causes du délai, ainsi que de la complexité des faits et des questions de l’affaire.

2. Le délai doit avoir causé directement un préjudice important. Il peut y avoir préjudice lorsque le délai a causé un tort psychologique important à une partie ou qu’il a porté atteinte à la réputation, à sa vie familiale à ses occasions d’affaires.

3. Le délai constitue un abus de procédure. Le délai constitue un abus de procédure s’il est ostensiblement injuste à l’égard d’une partie ou s’il jette autrement le discrédit sur l’administration de la justice.

Confirmation du critère de Blencoe dans Abrametz :

Dans l’arrêt Abrametz, la CSC confirme l’applicabilité continue du critère de Blencoe aux délais des procédures administratives et aux abus de procédure. En appliquant ce critère à l’affaire en cause, la Cour a statué que le délai de la procédure disciplinaire de Me Abrametz n’était pas excessif, si on tient compte de la complexité de la procédure et du fait que Me Abrametz a lui‑même causé une partie du délai. La Cour a également jugé que les dommages que Me Abrametz dit avoir subis à cause du délai ne constituent pas un préjudice important. La Cour a confirmé la décision du comité d’audiences au sujet de la demande d’arrêt des procédures déposée par Me Abrametz et elle a statué que la Cour d’appel avait erré en infirmant la décision du comité. 

Indications supplémentaires de la Cour dans la décision Abrametz sur la réparation appropriée pour l’abus de procédure :

En examinant quelle est la réparation appropriée pour un tel abus de procédure, dans l’affaire Abrametz, la Cour a indiqué que l’arrêt des procédures ne doit être ordonné qu’en dernier recours, puisqu’il met fin aux procédures sans que la plainte initiale ne puisse être déterminée. Voilà pourquoi il ne faut accorder un arrêt des procédures que dans les cas les plus manifestes, lorsque le degré de gravité de l’abus se trouve au plus haut de l’échelle. Lorsque le tribunal établit l’existence d’abus de procédure, mais que ce dernier n’atteint pas ce degré élevé de gravité, alors il doit considérer d’autres formes de réparation, comme une diminution des pénalités ou une modification de l’adjudication des dépens.