Victoire en matière de droits de la personne pour les étudiants étrangers
12 juin 2023
Les étudiants étrangers sont fréquemment confrontés à un choc émotionnel. Bien qu’ils soient qualifiés, assidus et autorisés à travailler au Canada, ils se voient souvent refuser les possibilités d’emploi offertes à leurs homologues canadiens, et ce même après avoir déboursé beaucoup d’argent durant plusieurs années d’études au Canada. C’est ce qu’a vécu Muhammad Taimoor Haseeb lorsque la Compagnie Pétrolière Impériale a annulé un emploi qu’il devait occuper après avoir obtenu son diplôme dans une prestigieuse université canadienne, simplement en raison de son statut de citoyen. Après neuf ans de procédure, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu, il y a deux semaines, une décision unanime établissant que la Compagnie Pétrolière Impériale avait fait preuve de discrimination à l’égard de M. Haseeb en vertu du Code des droits de la personne de l’Ontario, sur la base du motif de la « citoyenneté ». Cette victoire juridique est une étape encourageante vers l’élimination des obstacles auxquels sont confrontés les étudiants étrangers en Ontario et dans l’ensemble du pays.
En 2014, M. Haseeb, un étudiant étranger originaire du Pakistan, était en passe d’obtenir son diplôme d’ingénieur en mécanique avec d’excellentes notes et de décrocher un poste pour la Compagnie Pétrolière Impériale alors que l’entreprise, le classant au premier rang, lui avait offert un emploi à Sarnia, en Ontario. M. Haseeb disposait d’un permis de travail pour diplômés du gouvernement fédéral lui permettant de travailler à temps plein, n’importe où au Canada, pour n’importe quel employeur, pendant une période maximale de trois ans. Il comptait obtenir sa résidence permanente dans le cadre de ce processus. Malgré le fait qu’il soit une personne très performante disposant d’un permis de travail valide de trois ans, la Compagnie Pétrolière Impériale a retiré son offre sous prétexte que le poste exigeait la citoyenneté canadienne ou le statut de résident permanent.
M. Haseeb a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne et une décision favorable du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario a ordonné à la Compagnie Pétrolière Impériale de lui verser plus de 116 000 dollars de dommages-intérêts en 2019. L’entreprise a obtenu une révision en 2021 auprès de la Cour divisionnaire, qui a annulé la décision du tribunal. M. Haseeb a fait appel de la décision de la Cour divisionnaire, ce qui a donné lieu à la décision de la Cour d’appel, qui a confirmé la décision initiale du Tribunal concernant le montant de 116 000 dollars.
La décision de la Cour d’appel constitue une avancée juridique importante qui reflète l’évolution de la société dans son ensemble en matière d’immigration : les anciens obstacles destinés à restreindre les perspectives d’emploi des travailleurs étrangers doivent être supprimés. Les décideurs politiques fédéraux et provinciaux reconnaissent que les nouveaux arrivants et les étudiants étrangers contribuent de façon essentielle à la croissance du Canada et qu’ils sont indispensables pour renforcer le marché du travail à la lumière du vieillissement de la population.
L’affaire Haseeb a également permis de réformer les normes régissant la délivrance des permis en Ontario. Le 23 mai, le jour même de la décision de la Cour d’appel, l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario a supprimé le critère de l’expérience canadienne pour l’obtention d’un permis d’ingénieur en Ontario. La Compagnie Pétrolière Impériale, qui continue de se battre contre M. Haseeb devant les tribunaux, a supprimé les politiques d’embauche discriminatoires dont il avait fait l’objet à l’origine.
En déterminant qu’un traitement injuste lié à la résidence permanente est une forme de discrimination fondée sur la citoyenneté, la Cour d’appel a assuré la protection des droits de la personne pour les étudiants étrangers en vertu du Code. Qu’il s’agisse d’engager des consultants en immigration, de payer des frais de scolarité exorbitants, d’essayer de trouver un logement abordable, d’affronter les préjugés dans les salles de classe ou de faire face à la stigmatisation et aux obstacles lors de la recherche d’un emploi, les étudiants étrangers doivent faire face à de lourdes charges économiques et psychologiques. Les conséquences tragiques de ces difficultés et de ces mauvais traitements sont manifestes au vu de la vague de décès d’étudiants étrangers, dont un grand nombre sont attribuables à des suicides. L’Ontario doit faire mieux pour soutenir les droits de la personne et la sécurité des étudiants étrangers.
La citoyenneté demeure un motif de discrimination qui, jusqu’à présent, n’a fait l’objet que d’une jurisprudence limitée. Cette décision récente renforce les protections contre la discrimination à l’encontre des étudiants étrangers qui ont le droit de travailler au Canada. Les avocats de M. Haseeb au Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne espèrent que cette récente victoire de la Cour d’appel marquera le point final de l’affaire; toutefois, nous attendons de savoir si cette lutte pour les droits des étudiants étrangers se poursuivra jusqu’à la Cour suprême du Canada. D’ici là, les étudiants étrangers doivent savoir qu’ils ne sont pas seuls dans leur combat contre la discrimination et que la « citoyenneté » pourrait ne plus constituer le critère de qualification professionnelle insurmontable qu’il était auparavant.
Ena Chadha est la présidente du Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne.