La Cour suprême du Canada (CSC) confirme qu’il n’y a pas d’immunité absolue contre les condamnations à des dommages-intérêts fondées sur la Charte pour l’adoption de lois inconstitutionnelles

Dans l’arrêté Canada (Procureur général) c. Power, 2024 CSC 26, la Cour suprême du Canada a réexaminé la question de savoir s’il est possible d’ordonner à un gouvernement de payer des dommages pécuniaires pour des violations de la Charte liées à une loi déclarée inconstitutionnelle par un tribunal.

Affaires antérieures portant sur l’immunité :

En 2002, la Cour a statué dans l’affaire Mackin c. Nouveau-Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13 que l’État jouit d’une immunité restreinte (immunité de poursuites pour violation d’une loi) dans l’exercice de son pouvoir législatif, de sorte que des dommages-intérêts ne peuvent être accordés qu’en cas de comportement « clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir ». D’après la Cour, une telle immunité est nécessaire afin « d’établir un équilibre entre la protection des droits constitutionnels et la nécessité d’avoir un gouvernement efficace ».

Analyse en quatre étapes pour déterminer si des dommages-intérêts pour violation de la Charte doivent être accordés :

Dans un arrêt ultérieur, Vancouver (Ville) c. Ward,2010 CSC 27, la Cour a établi une analyse en quatre étapes pour déterminer si des dommages-intérêts constituent une réparation convenable :

  • un droit garanti par la Charte a-t-il été enfreint?
  • les dommages‑intérêts peuvent-ils remplir au moins une des fonctions interreliées suivantes : l’indemnisation, la défense du droit en cause et la dissuasion contre toute nouvelle violation?
  • l’État a-t-il démontré que des facteurs faisant contrepoids l’emportent sur les considérations fonctionnelles favorables à l’octroi de dommages‑intérêts, de sorte que ces derniers ne seraient ni convenables, ni justes?
  • si des dommages-intérêts sont convenables, quel doit en être le montant?

L’argument de la Couronne en faveur de l’immunité contre les dommages-intérêts en vertu de la Charte :

Le gouvernement canadien a soutenu devant la Cour, dans l’affaire Power, qu’il bénéficie d’une immunité à l’égard des dommages‑intérêts fondés sur la Charte lors de l’adoption par l’entremise du Parlement de nouvelles lois déclarées par la suite inconstitutionnelles. Il a soutenu par ailleurs qu’il ne pouvait être tenu responsable d’aucun acte accompli dans l’exercice de son pouvoir législatif (pouvoir de légiférer). La Cour n’était pas d’accord, réaffirmant l’approche de l’immunité « qualifiée » adoptée dans l’affaire Mackin.

La Cour examine l’affaire Mackin :

Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’accorder l’immunité absolue au gouvernement canadien porterait atteinte aux principes qui exigent que le gouvernement soit tenu responsable d’avoir violé des droits garantis par la Charte, comme :

  • la constitutionnalité (agir conformément à la constitution canadienne – dans ce cas, le rôle du gouvernement en vertu de la Charte consistant à protéger les droits des particuliers); et
  • la primauté du droit (le concept selon lequel tout le monde au Canada respecte les lois du pays).

L’approche dans Mackin offre un équilibre approprié entre le respect de ces principes et ceux qui se rapportent à la protection de :

  • l’autonomie législative, tels que la souveraineté parlementaire (qui garantit que le Parlement est le seul organe habilité à adopter des lois fédérales pour le Canada); et
  • le privilège parlementaire (les droits dont jouissent les députés, dont celui de prendre la parole et de travailler à des lois pendant qu’ils se trouvent au sein de législature).

Le principe de l’immunité qualifiée :

La Cour a clarifié le seuil d’immunité qualifiée de Mackin, qui est évalué à la troisième étape du cadre d’analyse de l’arrêt Ward, comme suit : la défense de l’efficacité gouvernementale l’emportera à moins que la loi soit clairement inconstitutionnelle ou qu’elle participe d’un comportement de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir. Si ce seuil n’est pas atteint, l’équilibre des principes constitutionnels penche en faveur de l’immunité de l’État.